Rendez-vous de l’histoire de Blois

Editorial

Le corps dans tous ses états

Que les champs de l’Histoire se soient grandement élargis depuis un demi-siècle, tous les fidèles de Blois en ont conscience, eux qui viennent chaque année y humer les parfums inédits de territoires longtemps inexplorés. Mais ceux qui furent étudiants à la Sorbonne ou ailleurs dans les années 1960, je parle de ma génération, songeront avec un sourire à la stupéfaction que nos maîtres auraient éprouvée à nous voir choisir ce sujet-là, si loin de leur base…

C’est bien un signe de la vitalité de la discipline que nous chérissons qu’elle ait étendu de pareille façon ses élans, ses curiosités, ses savoir-faire. Parce que le tout de l’humanité nous concerne. Parce que ce thème spécifique est appréhendé désormais de toutes sortes de façons. Parce qu’il ouvre des perspectives vers des aspects multiformes de la vie de nos semblables, d’âge en âge, en face d’eux-mêmes et parmi les autres.Il suffira, pour s’en convaincre, s’il en est besoin, de parcourir le programme profus de nos conférences, de nos débats, de nos présentations d’ouvrages. Tous ceux qui nous rejoignent à Blois pressentent en y arrivant la moisson qu’ils y feront durant ces quelques jours.

Ils y rencontreront la beauté et la laideur, telles que définies par les sensibilités et les canons des temps successifs, la nudité et la parure, la minceur et l’obésité, le quotidien des regards échangés, des admirations et des rejets, avec la prégnance des jugements esthétiques qui s’y logent.Ils y salueront l’effort physique et cet univers des sports que Clio a considéré longtemps avec un peu de condescendance mais qu’à présent elle approche avec un intérêt vif, nourri de la certitude que s’y bousculent à la fois les passions les plus sublimes et les plus dérisoires et que les nations y puisent et y révèlent des sentiments puissants.

Ils y côtoieront la douleur qui, autant que le rire, est le propre de l’homme : le corps malade, avec les formidables progrès de la médecine et de chirurgie, mais aussi les multiples procédés de la magie thérapeutique et des antiques guérisons.Ils y considéreront la souffrance physique, partant morale, que depuis la nuit des temps nos semblables s’imposent les uns aux autres, les blessures de la guerre, et la torture, cette barbarie absolue, la douleur infinie des corps martyrisés.

Ils y honoreront (beaucoup ? surtout ?) les dimensions de l’amour physique, ses représentations, ses rêves, le cortège infiniment inventif de ses fantasmes, de ses respects partagés, de ses tendresses et de ses débordements.Ils y connaîtront enfin les arts qui fixent et promeuvent les corps, entre commisération et sublime, pour le plus splendide et pour le plus dérisoire, avec la responsabilité unique de nous arracher à la glaise.

J’ai écrit « enfin » : j’ai tort. Car je n’ai sûrement pas épuisé la profusion des curiosités qui vont tournoyer, ces jours-ci dans ces lieux sans pareils. Elles ne seront pas toutes assouvies ? Certes ! Mais au fond c’est aussi, nous l’avons compris depuis belle lurette,  pourquoi nous sommes si nombreux à savoir que nous reviendrons longtemps à Blois.