Louis Oury – Métallo, romancier, historien

Lettre-Préface

 
Cher Louis Oury,

Vous avez souhaité que j’ouvre ces pages par quelques mots d’amitié et je réponds volontiers à votre désir. Car je suis heureux que l’occasion me soit donnée de dire, à l’orée de ce premier volume de vos mémoires, l’estime où je vous tiens et la considération que je porte à votre œuvre. Ces sentiments sont partagés, à vrai dire, par tous vos lecteurs et mon seul titre à les exprimer –en leur nom comme au mien- est le privilège que j’ai eu d’accueillir naguère vos archives dans les collections de la Bibliothèque nationale de France, lorsque votre  générosité vous les lui a fait confier.

C’était le 3 mai 2006, sur le site de Richelieu et cette cérémonie fut une belle fête. L’équipe des conservateurs du département des manuscrits, entourant Jacqueline Sanson, directrice des collections, se réjouissait de cet événement heureux et nous vous exprimâmes notre gratitude sous le regard du Voltaire de Houdon qui me parut (vous vous le rappelez?) voiler un peu l’ironie qui flotte d’ordinaire sur son visage pour y laisser paraître quelque attendrissement. Nous avons pensé qu’il saluait en vous un homme qui se présenta comme un Candide bien décidé à le demeurer. Et je ne crois pas qu’il vous en veuille à présent d’avoir choisi Jean-Jacques Rousseau pour l’épigraphe de votre ouvrage.

Je me souviens aussi que nous vous avions encouragé à rédiger, dans le calme de votre thébaïde de Saint-Herblain, vos souvenirs. Les voici, bienvenus. Beaucoup de vos contemporains y retrouveront des émotions, des élans, des frustrations aussi,  qui furent les leurs depuis l’entre-deux-guerres. Mais on songe surtout aux enfants des générations futures, en se réjouissant qu’il leur soit donné de suivre votre itinéraire d’écrivain du peuple : vous revendiquez tranquillement cette dénomination qui justifie votre fierté et aiguillonne votre ambition littéraire.

Ils sauront, grâce à ces pages, et je suis certain qu’ils vous en sauront gré, ce qu’ils vous a fallu de détermination et de courage pour tracer votre route. Ils s’étonneront peut-être, depuis leur situation d’aujourd’hui, qu’on vous ait fait quitter l’école dès quatorze ans pour votre apprentissage d’ouvrier chaudronnier. Mais ils comprendront par quel ressort vous avez pu, bel exemple de promotion républicaine, progresser, d’échelon en échelon, (hommage soit rendu en passant au Conservatoire des arts et métiers, création du grand révolutionnaire que fut l’abbé Grégoire), jusqu’à coordonner les travaux de technologie élaborés par des ingénieurs diplômés de Centrale ou de « Supelec » : vous nous l’avez rappelé, ce jour-là, avec un légitime orgueil.

Ils mesureront aussi ce que votre œuvre littéraire, depuis que vous l’avez commencée sans vous laisser intimider par trop d’illustres précédents,  assez confiant en vous-même pour ne pas vous laisser rebuter par des accueils d’abord revêches, a su tirer de force à la fois de votre expérience prolétarienne et de l’amour de votre terroir, au plus près de son histoire et de ses saveurs -ce terroir où vous avez toujours enraciné votre imagination et votre ardeur créatrice : grâce à quoi, depuis votre premier récit, vous n’avez pas cessé d’élargir votre public, jusqu’à la consécration que vous a apportée Rouget le braconnier, paru en 1984 et si souvent réédité. Ils apprendront enfin comment les polémiques qui l’ont entouré, loin de décourager votre créativité, l’a fouettée au contraire et a contribué, en somme, à la notoriété du roman.

Mais à quoi bon résumer davantage un parcours dont le récit se suffit à lui-même ? Vous aurez assez compris, cher Louis Oury, que mon seul propos était ici de garantir à ces nouveaux lecteurs que vous allez mériter, et qui vont rejoindre les bataillons de vos fidèles, qu’ils trouveront à vous y suivre des satisfactions vives et -pourquoi pas ?- des inspirations salutaires. Je souhaite bon vent à votre beau livre !

Jean-Noël Jeanneney
ancien président de la Bibliothèque nationale de France.