Les musulmans en Europe, XVI-XVIIIe siècles
Voici qu’à nouveau, ces jours-ci, le tourbillon des passions vient exaspérer l’opposition entre deux extrêmes qui, visiblement, sont rigoureusement rebelles aux prestiges de la raison. D’un côté une petite frange de l’Islam et de l’autre les quelques-uns qui, dans notre Occident dont la culture est pour beaucoup chrétienne, redoutent, détestent, fustigent leurs compatriotes musulmans. Au service de la sagesse, de la sérénité, de la tolérance, l’Histoire, comme toujours, peut apporter sa contribution et c’est la portée que je voudrais donner à notre émission de ce matin consacrée à la situation des musulmans en Europe autrefois, entendez du XVIe au XVIIIe siècle. J’aurais songé, en toute occurrence, à convier Lucette Valensi, directeur d’études à L’École des Hautes Études en Sciences Sociales, puisqu’elle vient de publier sur ce thème un livre précieux qui leur est consacré sous le titre « Ces étrangers familiers ». Mais l’intention explicite qui est la sienne m’y a poussé encore davantage puisqu’elle commence son ouvrage avec le propos suivant qui le colore tout entier : « J’aurais voulu écrire ces lignes en forme d’avertissement : Les personnages signalés dans ce livre sont tous morts depuis longtemps. Toute ressemblance avec nos contemporains est purement fortuite. Mais, continue-t-elle, je ne le ferai pas. Car les pages qui suivent répondent à des questions que pose notre présent, à des préoccupations politiques, mais aussi morales, que suscitent les prises de position et les actions de ceux qui nous gouvernent, comme les convictions exprimées par certains courants de l’opinion publique, à l’égard de nos concitoyens musulmans, des immigrés issus des pays de l’Islam et de leurs descendants. Je prends donc, ajoute-t-elle enfin, le parti de l’anachronisme. » Sur ce mot seulement je ne rejoindrai pas tout à fait Lucette Valensi car dans son soucis d’éclairer le présent par le passé, soucis qui est constamment le nôtre dans cette émission, je discernerais plutôt l’attention portée sur ce qui, dans le passé, peut apparaître précisément comme contemporain.
Jean-Noël Jeanneney