Les Jardies – Tant de calme, tant de force

Le temps a enserré la maison, assiégée désormais par des pavillons en meulière et par le haut monument d’hommage qu’avait conçu Bartholdi. Privé du regard que Gambetta pouvait avoir à la ronde, largement, lorsqu’il y vécut, le visiteur s’en chagrine d’abord. Mais son regret n’est que d’un instant. Car bientôt, comme aspiré vers l’intérieur, il ne songe plus qu’au drame brutal qui survint ici en novembre et décembre 1882, jetant à bas un grand homme. L’accident qui arrêta net celui-ci dans sa course, à l’âge de quarante-quatre ans, fait rêver sur le hasard quand il a décidé d’être absurde : pistolet de duelliste essayé pour jouer et dont part le coup par mégarde, prescription malvenue d’une immobilisation dans le lit sombre du premier étage, septicémie que nul antibiotique ne pouvait refouler, en ce temps-là…

Mais l’émotion s’attarde surtout sur un contraste qui n’a rien perdu de sa violence, après tant d’années écoulées, et qui s’impose ici, entre le souffle d’une énergie si puissante et la modestie d’une demeure sans jactance, où le repos de Gambetta trouvait un refuge auprès de l’objet de ses amours, qui furent à demi clandestines et tout à fait intenses : entrelacs, constant chez lui, entre sagesse et passion.

Il y eut beaucoup de raisonnable dans son attitude lorsque, après la défaite de 1871, il brida les impatiences de ses amis –et probablement les siennes propres – pour persuader la France des profondeurs, durant plusieurs années, à force de banquets et de nuits cahotées dans les chemins de fer, que la République saurait contenir les débordements de ces « partageux » qui faisaient si peur aux bourgeois.

Mais c’est ce même lutteur qui s’était refusé à toute prudence dans l’éloquence de ses plaidoyers d’avocat, à tous risques, contre les turpitudes du Second Empire, lorsque ce régime né de l’infamie tâchait de dissimuler son irrésistible déclin, dans les prétoires, sous la servilité des juges. Ce même homme dont la flamme sauva l’honneur de la France, après l’effondrement de Napoléon III à Sedan. Ce même homme dont le patriotisme exalté s’affirma en face des nantis pactisant avec l’ennemi prussien pour défendre leurs privilèges contre la subversion qu’impliquait à leurs yeux un sursaut du peuple mobilisé.

Parmi tous les témoignages qu’après coup la dévotion républicaine a accumulés sur ces murs, une gravure attire l’œil : elle évoque l’épisode sans pareil que tous nos manuels ont retenu, Gambetta quittant en ballon la capitale assiégée pour aller, merveilleusement libre, rejoindre le gouvernement de la Défense nationale. Le voyage fut périlleux, intrépide -une certaine façon de refuser les bornes du confiné, du convenu, de l’irrémédiable.

Entre pondération et flamboyance, le calme de cette maison nous parle d’une aventure dont la République a quelque motif d’être fier – ce qu’elle a d’ailleurs crié, dans le grand air, à travers la multitude des rues et des avenues que, loin de ce lieu clos, paisible et presque tendre, elle a baptisées du nom de Gambetta.