« Le Val d’Oise fête la République »

Préface

Ne laissons pas s’affadir Marianne. La donner à voir sous les traits harmonieux de Brigitte Bardot, de Catherine Deneuve ou de Laetitia Casta : qui donc, à moins d’avoir un esprit chagrin, s’en offusquerait ? Prenons garde pourtant à ne pas laisser se diluer dans un consensus mou, sur les monuments de nos places publiques, au fronton de nos mairies et dans les salles des mariages, l’énergie combattante de la République, celle que nos ancêtres statufiaient si bien quand ils fixaient, sous les lauriers ou le bonnet phrygien, la vigueur d’un regard conquérant et farouche.

Une menace pèse sur nous: celle de nous laisser abuser par la fausse évidence d’un acquis intangible, d’une réalité aussi définitive que l’air que nous respirons – si nous oublions que les libertés et les chances que la République offre à ses enfants demeurent fragiles, dans un monde tellement troublé alentour, et qu’elles demandent autant que jamais d’être consolidées et élargies.

Cette conviction inspire l’ouvrage bienvenu que voici. Il vient confirmer, s’il en était besoin, que la meilleure manière de retendre le ressort nécessaire à de nouvelles conquêtes démocratiques est de chercher des inspirations dans l’histoire des anciennes ardeurs. Rien de plus utile pour le civisme d’aujourd’hui que de rafraîchir le regard jeté sur les grands ancêtres à l’époque de leurs conquêtes politiques et sociales. C’est de cette façon, n’en doutons pas, que le lecteur, au fil de ces pages, voyageant entre les pierres, les images et les textes, appréciera cet album de famille et les diverses contributions qu’il rassemble.

La juxtaposition des hôtels de ville du Val d’Oise offre ainsi le résumé d’une histoire de l’architecture dans la région parisienne, avec ses habiles réemplois de constructions antérieures, avec ses tranquilles conformismes et ses audaces soudaines. Tandis que partout s’affirme la volonté d’installer au centre des cités une maison commune qui soit digne d’une ambition républicaine.

Les peintres que l’on appelle académiques, et parfois pompiers, et qui reflètent, dans la longue durée, le goût respectable des édiles et de leurs administrés, retrouvent de leur côté, dans ces décors, une fraîcheur inattendue. Le didactisme y perd de sa lourdeur au profit de l’enthousiasme. On s’attardera, par exemple, dans la mairie de Bezons, sur la fresque de Segaud consacrée au 14 juillet 1789 : elle témoigne d’un temps où l’on proclamait avec allégresse, sans se croire obligé à des réserves précautionneuses et à de prudentes nuances, tout ce que l’on devait aux grands ancêtres de la Révolution quand ils firent entrer dans le réel, non sans heurts mais magnifiquement, et à tous risques, les idéaux portés par les Lumières. On voit ainsi resurgir l’histoire de France telle que l’enseignèrent à des générations d’écoliers les manuels d’autrefois. On voit rappeler qu’il y a toujours, comme le disait Victor Hugo, de nouvelles Bastilles à prendre.

L’idée était bonne aussi d’évoquer le dialogue qui s’est développé depuis plus d’un siècle entre le cinéma et le monde municipal. Les mairies accueillent les caméras avec bienveillance, conscientes du profit à attendre de toute ouverture plus large au public : bonne occasion de constater avec satisfaction que les édiles sont mieux traités à l’écran, et de manière moins caricaturale, que les parlementaires et les ministres, ce qui est le signe d’une popularité spécifique. Le décalage n’en demeure pas moins large avec leur vie quotidienne, généreuse et souvent rude, telle que la traduit bien l’anthologie des sentiments éprouvés par celles et à qui nous déléguons une tâche aussi méritoire.

L’intérêt est grand, décidément, d’un retour en arrière qui permet, en retraçant la genèse du pouvoir des maires et de leurs conseils,  de lutter contre les clichés et de ressourcer les lucidités. La Troisième République est heureusement à l’honneur dans ces pages, en un temps, le nôtre, où la faillite des utopies sanglantes du XXe siècle donne un lustre renouvelé à des Pères fondateurs qu’on considéra longtemps avec quelque condescendance, parce qu’il croyaient, sagement, que nul progrès essentiel ne pouvait être réalisé d’un seul coup et que le courage d’un réformisme graduel et déterminé contre tous les conservatismes valait mieux, en définitive, que les fureurs des nouveaux prophètes.

Jean-Noël Jeanneney

(Editions du Valhermeil, septembre 2008)