« La violence s’est adoucie depuis le XIXe siècle »

Entretien dans la Dépêche du Midi, le 23 février 2012

Jean-Noël Jeanneney, historien, publie ces jours-ci « L'Etat blessé » (Flammarion).

Les campagnes présidentielles semblent se personnaliser de plus en plus. Est-ce parce que les projets politiques des candidats ont de plus en plus de mal à se différencier ?

C'est une illusion d'optique. Il y a bien longtemps qu'on agite cette idée. Barrès, le grand écrivain, disait déjà, en 1914, à propos des conflits opposant les hommes du centre droit et du centre gauche : « Nos gens se battent, mais ils ont à peu de choses près la même conception politique. Quand ces hommes sont amenés à se disputer le pouvoir, ils ne peuvent que se faire une guerre personnelle. Ils ne peuvent pas s'atteindre dans leurs idées : ils s'attaquent donc dans leur personne. » Barrès, député d'extrême droite, dénonçait déjà « l'establishment », selon la formule du Front national. Il est vrai que le ralliement progressif des droites, depuis un siècle, à une bonne part des convictions de la gauche républicaine a adouci l'affrontement – sans que disparaissent les différences de politiques et de tempéraments : il s'en faut de beaucoup !

Les attaques auxquelles on assiste lors de cette campagne sont-elles plus dures qu'auparavant ?

Je prépare actuellement une de mes émissions du samedi sur France Culture, consacrée aux insultes dans l'histoire politique. La violence, au 19e siècle, était incroyable : les comparaisons animales fournissent, d'un camp à l'autre, un sinistre bestiaire. Tout s'est adouci depuis, en fait, malgré les apparences, et il faut s'en réjouir : dignité de la démocratie.

Les médias – toujours plus nombreux – ont-ils une part de responsabilité dans l'emballement de la campagne ?

Les médias « classiques » restent, en somme, mesurés. Tant mieux. Mais deux données neuves incitent à la vigilance. La prolifération des stations de radio et de télévision exige des acteurs un nombre d'interventions qui multiplient les risques de « dérapages » non contrôlés, créant des incidents qui risquent de détourner les citoyens de l'essentiel. Et puis il y a Internet, si favorable à l'expression démocratique, mais porteur aussi de toutes les calomnies, rumeurs, ignominies. La pratique des pseudonymes, qui supprime la responsabilité des internautes quant à ce qu'ils disent, est détestable.

Recueilli par Jean-Pierre Bédéï