Gambetta et la conquête du pouvoir
Conférence dans le cadre du festival de Pessac, le dimanche 20 novembre à 14h30.
Introduction à la conférence
Lorsque la conduite très vaillante de Gambetta, dans son effort –vain mais méritoire- pour prolonger la guerre franco-prussienne de 1870 après la chute de l’Empire l’installe dans une grande popularité, il lui revient de mener un nouveau combat, civique celui-ci, et non plus guerrier: il s’agit que la République, dont il a servi ardemment le projet, comme avocat et comme député, sous Napoléon III, s’assure l’adhésion d’un peuple français qui y est encore fort réticent.
Cette conquête se heurte à de rudes obstacles : l’attachement d’une bonne partie des campagnes au régime défunt, le souhait d’une bonne partie des élites bourgeoises et des classes moyennes de voir restaurer une monarchie constitutionnelle, le souvenir traumatisant de la Commune de Paris qui pousse beaucoup de gens à assimiler les républicains à des « Rouges » ; tous obstacles que Gambetta surmonte progressivement, en une décennie d’activité inlassable, selon une stratégie qui mérite d’être retracée en termes tout à la fois politiques et romanesques– et qui continue de porter divers enseignements pour aujourd’hui.
En se faisant le « commis voyageur de la République » à travers une France qu’il ne cesse de parcourir en y déployant sans relâche sa splendide éloquence méridionale, il dissipe peu à peu la méfiance du monde paysan envers les « partageux ». Sans abdiquer les grands principes qu’il avait formulés, dès 1869, dans son célèbre « programme de Belleville », sur l’éducation populaire, sur la laïcité (« le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »), sur un impôt lisible et plus juste, sur la défense et l’illustration des libertés publiques, sur la liberté d’association et de réunion, il rassure quant à la protection de la petite propriété et la perspective d’une politique étrangère qui ne soit pas provocatrice envers le vainqueur.
Tactiquement, Gambetta a la sagesse de faire alliance avec Adolphe Thiers, en dépit de la responsabilité de celui-ci dans l’écrasement de la Commune. Quand Thiers est chassé de la direction de l’exécutif par la majorité royaliste de l’Assemblée, il n’hésite pas à le célébrer comme le « libérateur du territoire », obtenant son appui, important, lorsqu’éclate la crise du Seize-mai 1877, quand Mac-Mahon, cet étrange président de la République qui est royaliste, engage l’épreuve de force. Les élections législatives qui suivent décident du succès définitif de Gambetta et des républicains. Magnifique succès, en somme.
Hélas ! pour lui-même le récit s’achève très mal: on attend, au début des années 1880, le « grand ministère » qu’il doit présider, et qui devrait concrétiser son installation finale au pouvoir. Quand ce cabinet est constitué, il ne dure que quelques semaines ; la déception est complète, parmi l’assaut des jalousies convergentes. Contraste violent entre le long terme, brillant, et le rythme court qui est celui d’un échec brutal… La mort accidentelle du grand homme, à la fin de 1882, clôt tragiquement une histoire qui demeure, sur la longue durée, avec ses spasmes, ses violences, ses frustrations, belle.
Jean-Noël Jeanneney