Champagne, ce soir et toujours

Concordance des temps – émission du 31 décembre 2011

Avec Jean-Robert Pitte, géographe majeur et historien averti des plaisirs de la bouche et des sens.

Quelqu’un m’a murmuré l’autre jour à l’oreille que puisque notre dernière émission de l’an de grâce 2011 survenait, selon le hasard du calendrier, un 31 décembre, parmi les préparatifs de la fête, ce serait un hommage bienvenu et vertueux aux violents contrastes de l’histoire des hommes que d’aller chercher, dans la durée infinie du passé, un thème bien sanglant, bien brutal, bien sinistre et, en somme, de faire, comme disent les économistes, du contracyclique. Malheureux qui vous apprêtez à être si joyeux ensemble, et à tournoyer parmi les lumignons, à être si joyeux ensemble, nous vous aurions arrachés à votre aveuglement pour vous rappeler vigoureusement combien l’histoire est tragique. Et bien non ! Pour rejeter cette tentation, où j’aurais cru pouvoir mêler lucidité et perversité, cette tentation de jouer les trouble-fêtes, il m’a suffi de tomber par hasard sur un article, c’était dans le Figaro, où j’ai lu cette information propre à faire rêver, à savoir que dans chaque verre de champagne des scientifiques ont dénombré (je ne sais pas comment, mais ça n’a pas d’importance) ont dénombré, écoutez bien, jusqu’à deux millions de bulles. N’étant guère mathématicien, je ne chercherai pas à dénombrer combien de bulles se sont dégagées vers le ciel depuis que le champagne accompagne les bonheurs des hommes, mais en revanche le goût m’est venu de considérer comment ce breuvage a pu, dans la longue durée, conquérir une place aussi éminente au service des hédonismes partagés. Donc j’ai invité Jean-Robert Pitte, géographe majeur et historien averti des plaisirs de la bouche et des sens, à venir réfléchir avec moi à toutes les composantes, agricoles, techniques, sociales et fantastiques d’un phénomène aussi remarquable. Voici donc le champagne, le champagne ce soir et toujours.

Jean-Noël Jeanneney