Ce que la Grande Guerre nous a appris…
Entretien dans La Nouvelle République, le 25 septembre 2013
Le 10 octobre les RVH vont entrer dans la “ guerre ”. Jean-Noël Jeannenay, président du Conseil scientifique, livre sa réflexion sur 1914.
Comment doit-on aborder le centenaire de la Grande Guerre face à des jeunes générations qui en sont loin et qui ne sont plus appelées à faire leur service militaire ?
« Il faut se hâter de dire que la commémoration du centenaire de la Grande Guerre vise tous les publics de Français et Françaises, et ne pas faire de « jeunisme ». Mais il est évident que les plus jeunes de nos compatriotes en sont les plus éloignés chronologiquement, et peut-être affectivement. L'événement appelle donc un didactisme spécifique. Tout d'abord il faut rappeler puissamment ce qui s'est passé voici cent ans, pour honorer les sacrifices immenses qui ont été consentis : la plupart des familles ont été touchées, traumatisées d'une façon ou d'une autre. Ensuite, comprendre comment on en est arrivé à cet épouvantable conflit, à cette « guerre civile européenne » peut aider à ce que de tels enchaînements sinistres ne se reproduisent pas dans le futur. On devra aussi comme l'avait fait Jaurès jadis, se poser la question, essentielle en démocratie, des rapports entre l'armée et la nation. Un militaire me disait récemment « qu'il redoutait plus, désormais, l'indifférence que l'antimilitarisme. »
L'avenir nous amène justement à la construction de l'Europe ?
« L'Europe en devenir s'est construite sur ses ruines. Comment faire, aujourd'hui, pour continuer à bâtir une Europe de paix, ayant son identité, qui protège contre de nouveaux drames et parle fort dans le monde ? Au cours des années 20, l'Allemagne et la France ne pouvaient pas se mettre d'accord : l'Allemagne qui n'avait pas connu la guerre sur son territoire ne pouvait pas s'avouer vaincue. Tout est bien différent après 1945 ; l'Allemagne ravagée accepte la main tendue de la France, une France qui de son côté sait qu'elle-même n'a pas purgé, en dépit de la flamboyance gaullienne, la terrible défaite de 1940. Pour une petite part, le centenaire peut contribuer à rendre ce souvenir fécond. »
Vous avez été responsable de la Mission du bicentenaire de la Révolution en 1989. Quels liens voyez-vous avec la commémoration du centenaire qui s'ouvre dans quelques mois ?
« La commémoration du bicentenaire s'est construite sur un mouvement de mémoire inverse du cas de la Grande Guerre. Il y a eu une coupure de deux siècles avec 1789, moment primordial qui a coupé la France en deux autour de l'héritage des Lumières ; ensuite la droite a rallié celui-ci progressivement. Pour la Grande Guerre, au contraire, il y a eu unanimité au départ, – « l'Union sacrée » – et les divisions profondes, notamment autour du pacifisme, ne sont apparues qu'ensuite, peu à peu : dans les années 30 et au moment de Vichy. Cette différence majeure va se lire forcément l'an prochain. »
La Grande Guerre va être au cœur des RVH cette année ; est-ce pour mieux comprendre ce conflit majeur que le Conseil scientifique a choisi de l'élargir à tous ?
« Nous avons choisi, à cette occasion, d'élargir la focale : les guerres depuis la préhistoire, sous tous leurs aspects – stratégiques, politiques, économiques, religieux, culturels. La Première Guerre mondiale, historiquement, se trouve débuter comme une guerre « traditionnelle », choc de puissances en gros assez proches, mais elle finit comme une guerre idéologique : bolchevisme, fascisme, nationalités ; de surcroît guerre de masse. Par quoi il nous est apparu qu'en cet anniversaire, ce point de départ pouvait conduire à un large éventail de récits, d'interrogations, de débats acérés. Comme toujours à Blois. Peut-être plus que jamais. Notre public, si fidèle, devrait l'apprécier : j'en accepte l'augure. »
« La Grande Guerre, si loin, si proche, réflexions sur un centenaire », de Jean-Noël Jeannenay, éditions Seuil, 16 €