La cartographie dans les têtes : XIXe-XXIe siècles

Une information remarquable a été donnée tout récemment, à la fin d’octobre, par le quotidien belge L’Echo. Il y était relevé une intervention de l’ambassadeur de Chine en Belgique à propos des tensions qui se sont envenimées ces temps-ci entre son pays et le Japon, à propos des îles Senkaku contrôlées par Tokyo mais revendiquées par Pékin sous le nom d’îles Diaoyu. A l’appui de la thèse de son pays, l’ambassadeur chinois disait avoir acquis récemment, chez un bouquiniste de Bruxelles, une carte dressée en 1832 par Pierre Lapie, premier géographe du roi Louis-Philippe, et dans laquelle les îles disputées actuellement portaient leur nom chinois. Preuve irréfutable à ses yeux de leur appartenance à son pays. Cet épisode me paraît bien fait pour nous rappeler que les cartes de géographie n’ont jamais été neutres, mais très souvent des instruments de pouvoir et toujours des représentations fortement sélectives, élaborées par chaque pays du monde, représentations tout à la fois réelles et imaginaires. Et voilà bien qui mérite d’être considéré en termes historiques, pour nous protéger contre une naïveté qui nous ferait croire spontanément à une sorte de consensus universel, d’âge en âge,sur la figure de la planète. J’ai invité à cette fin Michel Foucher, géographe et diplomate, professeur à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et directeur de la formation à l’Institut des hautes études de défense nationale, qui est l’auteur d’un beau livre, riche en illustrations et démonstrations, qui s’intitule précisément La Bataille des cartes. Il s’y demande comment les représentations cartographiques sur la longue durée expriment toujours, jadis comme aujourd’hui, qu’elles soient concrètes ou mentales, les ambitions géopolitiques des peuples et de leurs gouvernements.

Jean-Noël Jeanneney