Entretien au Parisien sur Schengen

 

L’espace Schengen n’est peut-être pas mort, mais il agonise ?

Schengen est en grand danger. Et si l’on ne prend pas les mesures nécessaires pour le sauver, alors c’est toute la construction européenne qui pourrait être atteinte. Schengen, c’est-à-dire la libre circulation des personnes et sa contrepartie, garantir la sécurité des citoyens, est en effet une des réalisations les plus tangibles de l’Europe. Or, si on en est arrivé là c’est que, comme souvent en matière européenne, on est resté au milieu du gué. Car ce qui était prévu à l’origine des traités n’a pas été mis en œuvre.

C’est-à-dire ?

Il était prévu dans les accords que j’ai négociés lorsque j’étais ministre trois dispositions majeures. La libre circulation des personnes aurait dû s’accompagner d’un renforcement des contrôles mobiles au sein de l’espace Schengen, contrôles dont on sait qu’ils sont beaucoup plus efficaces que les contrôles fixes, d’un développement de la coopération entre les Etats membres en matière policière, judiciaire et entre les services de renseignement et enfin d’un contrôle accru des frontières extérieures. Ces conditions, essentielles au bon fonctionnement du dispositif Schengen, n’ont pas été mises en place.

Cela prouve bien que l’Europe est incapable de faire face aux défis actuels ?

Non. Dans ces domaines de la police et du renseignement, ce sont les Etats membres — et non les institutions européennes — qui sont principalement compétents. Et ce sont eux qui doivent avoir la volonté politique de mieux coopérer pour plus d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme et toutes les criminalités. L’Europe est devenue le déversoir de toutes les rancœurs. Faire de Schengen, comme Nicolas Sarkozy, le responsable de tous nos maux est une tromperie qui veut flatter les adversaires de toujours de la construction européenne.

Pour que Schengen soit efficace en matière de sécurité, il faut des moyens, or l’Europe en manque…

C’est vrai. Mais je sais gré à Bernard Cazeneuve et au président Hollande d’avoir fait adopter par les Etats membres de l’Union européenne les principales mesures de protection : le fichier des voyageurs aériens (PNR), la création d’une véritable agence de gardes-côtes des frontières extérieures de l’Union, les centres d’identification des migrants (hotspots), la lutte contre les trafiquants d’êtres humains. Il faut maintenant une meilleure articulation entre les services des Etats membres, le système Schengen, Europol et Interpol, pour une véritable coordination européenne de la lutte contre les réseaux terroristes et les passeurs.

Suspendre Schengen ou en faire sortir certains pays serait une solution ?

Les Etats européens doivent se rendre compte qu’il n’y a pas d’autre solution que la coopération. Les fermetures prolongées des frontières ne font que déplacer le problème. On ne réglera pas, au niveau national, ce défi par nature transnational.

Propos recueillis par Jannick Alimi